La Lettre du Musicien
Par Jacques Bonnaure
16 janvier 2017
La Chimène de Sacchini renaît à Saint-Quentin-en-Yvelines
Disparue depuis plus de deux siècles, Chimène ou Le Cid est ressuscitée au théâtre de Saint-Quentin en Yvelines. Une heureuse redécouverte…
Voici le parfait exemple d’une coopération réussie et d’une diffusion culturelle exigeante. Les principaux acteurs de cette Chimène ou Le Cid sont l’Arcal, qui depuis une trentaine d’années, multiplie les productions lyriques mobiles ; le Centre de musique baroque de Versailles, qui œuvre à la redécouverte du répertoire français méconnu et a prêté les remarquables Chantres préparés par Olivier Schneebeli ; le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines qui, comme chaque année, en partenariat avec des enseignants de la ville nouvelle, a ouvert ces représentations à un public très jeune et très attentif.
C’est donc une vérité à proclamer urbi et orbi : oui, on peut faire de la diffusion culturelle de haut niveau et sans démagogie si on s’en donne les moyens. Dont acte. Des centaines d’élèves auront donc pu assister à la recréation d’un opéra oublié, que personne n’avait vu depuis la dernière reprise de 1808. C’était pourtant un ouvrage important.
Après le retour de Gluck en Autriche, Antonio Sacchini (1730-1786) avait été appelé en France par Marie-Antoinette et le clan gluckiste, désormais orphelin, pour faire pièce aux piccinnistes. Le temps fort de cette nouvelle querelle, celle des sacchinistes et des piccinistes se situe à l’automne 1783, lorsque furent représentées à Fontainebleau la Didon de Piccinni et la Chimène de Sacchini. Les deux ouvrages firent match nul, Chimène poursuivant cependant une carrière modeste, avec 57 représentations, bientôt détrônée par Œdipe à Colone, du même Sacchini, qui totalisa plus de 600 représentations jusqu’au milieu du 19e siècle. Cette Chimène est un ouvrage d’un ton nouveau, et tout à fait remarquable. Le livret de Nicolas-François Guillard, ex-collaborateur de Gluck suit d’assez près l’argument du Cid de Corneille (dont il cite de nombreux vers), qu’il reprend au moment où Chimène demande justice au roi. A rebours de la virile tragédie de Corneille, Sacchini et Guillard ont imaginé, sans pourtant rien modifier d’essentiel, une Chimène déjà romantique et un Rodrigue plus élégiaque que son modèle.
Le dispositif scénique de Sandrine Anglade met l’orchestre au centre de la scène. Les chanteurs vont l’entourer, les choristes, s’y mêler, et Julien Chauvin, à la tête du Concert de la Loge, participe activement à cette dramatisation, acteur parmi les acteurs , animateur d’une partition vive, alerte, qu’il sait faire vivre avec des sonorités colorées et allégées. La mise en scène elle-même met en lumière cette opposition entre une Chimène de blanc vêtue, agitée de passions contraires et le monde des hommes, en gris ou en noir, qu’elle embarrasse manifestement.
La distribution réunit une équipe homogène de jeunes chanteurs. Agnieszka Slawinska (Chimène) sur qui repose l’essentiel du poids musical de l’ouvrage offre une incarnation touchante de l’héroïne, tour à tour tendre et passionnée (mais la diction laisse tout de même à désirer. Artavazd Sargsyan campe un Rodrigue moins héroïque que sensible mais suffisamment sonore pour affronter quelques passages plus tendus. Les autres rôles sont très correctement tenus, les aînés : Matthieu Lécroart en Don Diègue, Enrique Sanchez Ramos en Roi de Castille, comme les plus jeunes, François Joron, remarquable Don Sanche, Jérôme Boutillier en Héraut et une Coryphée (Eugénie Lefebvre) dont on devrait reparler….