« Prima la musica » ou « prima le parole » ?
Question qui n’a cessé d’agiter le monde de l’opéra dès sa naissance – en témoigne cette interrogation fondatrice de Monteverdi – et encore aujourd’hui.
Cette question porte en soi le présupposé qu’il y a une contradiction, une différence de nature insurmontable entre ces deux arts, musique et théâtre, et donc un combat où l’un doit l’emporter.
Il est vrai que ce sont deux langages (chacun subdivisible en plusieurs autres) qui ont chacun leurs codes et leurs impératifs propres, leur culture professionnelle transmise de façon à la fois non consciente et, particulièrement en France, cloisonnée – rendant ainsi palpable la membrane entre ces deux mondes.
Il arrive parfois –trop souvent– qu’il y ait dans les écritures ou dans l’interprétation des opéras un déséquilibre entre la musique et le théâtre. En général, ce déséquilibre est le signe que l’œuvre et/ou le spectacle n’a pas atteint le maximum de son potentiel.
Mais se dire qu’il doit y avoir un langage premier, qui « mène » l’autre, c’est s’enfermer dans une perspective qui rate une donnée essentielle : l’opéra n’existe que parce qu’il y a théâtre ET musique. Car l’opéra par essence, c’est le jeu entre plusieurs langages. Le jeu – comme on dit qu’il y a un jeu dans un mécanisme parce que ça « bouge » – c’est l’espace de liberté entre deux entités, cette liberté qui s’enracine dans l’intervalle, ce fameux « ma » japonais, le vide non pas stérile mais riche de toutes les possibilités de liaison, de fusion, de contradiction, de rejet, d’indifférence, ou de (divin) frottement. Alors oui il y a une contradiction, une tension entre les deux. Mais jouer avec les tensions, n’est ce pas au cœur de la dramaturgie commune à tous les arts de la scène ?
Ainsi de ce nouveau point de vue, la question essentielle de l’opéra c’est comment ça JOUE ENTRE théâtre et musique.
J’irai même plus loin : dans les œuvres réussies, quand en dernière analyse, on s’approche de ce qui constitue le noyau d’une œuvre lyrique, ça n’a plus de sens de distinguer ce qui relève du théâtre ou de la musique, car la musique DEVIENT théâtrale et le théâtre devient musical – cela relève de l’alchimie, de la transformation en l’autre. Et comme une alchimie artistique est avant tout basée sur l’humain, de même au niveau des interprétations, je sais que c’est bien parti quand j’entends le chef me parler plus de théâtre et le metteur en scène de musique.
C’est la qualité de cet équilibre dynamique à reconquérir toujours, mélange au sens que lui donne le philosophe Vincent Cespedès dans son livre « Mélangeons-nous – Enquête sur l’alchimie humaine », que je cherche à faire émerger à l’Arcal, car c’est là le point névralgique de l’opéra, ce qui en fait ressortir l’intensité – et qui est le plus difficile à atteindre.
Dans les exemples de cette rencontre je citerai en particulier le travail que nous avons fait sur les œuvres de Monteverdi, avec ce parlé-chanté propre à la naissance de l’opéra, libre des corsets formels ultérieurs, où les notes et les mots ne sont que la trace d’une vie musicale et théâtrale à réinventer sans cesse à travers l’oralité et tout ce qui fait sens sur un plateau.
Mais dans chaque projet à l’œuvre à l’Arcal, nous cherchons cette articulation juste entre musique et théâtre, qui donne les instants de grâce quand nous y arrivons. Travail d’équilibriste que nous dédions aux publics qui viennent partager ce temps « hors du temps » de la représentation.