Transmission(s)

[Du latin trans-mittere : envoyer au delà]

christian gangneronL’idée de transmettre une compagnie comme l’Arcal, de son fondateur (Christian Gangneron), à un(e) autre (Catherine Kollen), n’allait pas de soi. Qu’est ce que cette transmission recherchée ? Pour quoi transmettre ? Et au final, que transmet-on ?

Un geste vers

L’étymologie, cette « science du vrai » (etumos), histoire souterraine de nos mots qui révèle leur naissance et leur sens, nous apporte un éclairage : transmettre, c’est littéralement « envoyer au-delà ».

photo CK1Transmettre est donc d’abord un geste, un mouvement. Geste d’envoi, énergie qui se donne.

La transmission a une direction : vers l’au-delà. Au-delà de quoi ? Au-delà de soi, au-delà de maintenant, vers le futur, vers l’inconnu. Ce qui suppose la confiance en l’avenir. Reconnaître ses propres limites et dans le même temps trouver un moyen de les repousser. Accepter que l’entreprise nous dépasse et vouloir qu’elle nous dépasse. Ne pas savoir mais faire confiance : envoyer suppose un geste qui se termine par un lâcher prise ; s’abandonner pour ne pas abandonner.

Un lien qui transforme

La transmission comme un don, comme passage de relais. Espérer que l’envoi sera reçu. Penser la place de l’autre, de celui qui reçoit. La transmission comme un lien. Un maillon entre passé et avenir. Pas de transmission sans mémoire, et sans inscription dans une communauté.

La transmission implique une relation entre celui qui envoie et celui qui reçoit, mieux ; un côtoiement sur une durée, une perméabilité de l’un à l’autre, de l’autre à soi. La transmission implique un apprentissage , donc un travail, c’est à dire une transformation, de la patience, des efforts dans le temps. Une initiation, ce qui en même temps permet un (re)commencement.

Un esprit

vlcsnap-2015-09-08-22h30m07s61Qu’est ce qui se transmet ?
Un outil ? Un objet se donne ou se prête. Ce qu’on prend le temps et la peine de transmettre est ce qui est précieux pour soi, ce qui a de la valeur : on transmet des valeurs. Mais aussi, comme en course de relais, on transmet une énergie, un souffle. Expiration et inspiration. Le Qi asiatique, le pneuma grec ou le spiritus latin (qui a la même racine que expirer /re-spirer /in-spirer)  signifient dans les différentes langues autant le souffle que l’esprit : on transmet en définitive un esprit.

Tradition et trahison ?

vlcsnap-2015-09-08-22h44m20s217Quelle « mission » pour celui qui reçoit ? Perpétuer une tradition ? Mais comment penser une tradition dans le futur, dans un futur qui change si vite, où l’exercice de sa liberté et de son intelligence (pensée comme faculté d’adaptation) demande au contraire une fluidité ? Le patrimoine comme « stock » ne se révèle-t-il pas encombrant par rapport aux « flux » de la vie ? Le trouble augmente lorsque qu’on sait que le tradere latin a donné une double naissance, aussi bien tradition que trahison.

Alors comment conjuguer (atteler au même joug) fidélité et évolution sans trahir, soit soi-même, soit l’autre ?

Interpréter

maC’est oublier que la fidélité à l’esprit ouvre la liberté d’interpréter la lettre.
Interpréter, vaste question.
De nouveau l’étymologie nous donne des indices  :
-inter : entre
-préter : le lituanien « pròt-as » : intelligence, le gothique « fracht-jan » : penser, qui a donné ensuite le « fragen » allemand : interroger, sont les déclinaisons de cette racine indo-européenne « *prat/pret ».
D’où « inter-préter » : dans une position « entre », il s’agit d’exercer son intelligence en questionnant.

Le terme intelligence lui-même, bien plus large que la définition habituelle « faculté d’adaptation », nous dit des choses essentielles : inter-legere, de la racine indo-européenne *leg, à la fois choisir et assembler ; penser l’intelligence comme la faculté de choisir et d’assembler des choses entre elles.

Inter-préter, c’est utiliser l’espace « entre », le « vide », (le concept de « ma » en japonais, c’est-à dire l’intervalle entre deux choses), ce « jeu » (au sens de « jeu dans un mécanisme », la liberté de mouvement entre deux pièces d’un mécanisme qui n’est pas ajusté), condition de ma liberté qui permet le jeu (celui de l’enfant ou du comédien) lequel, par ses choix, révèle paradoxalement ma personnalité, le « je».

L’art en jeu

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L’art et la culture, à travers notre sensibilité, nous ouvrent aux possibilités de questionnement, de choix et d’assemblage, de liens à créer, de jeu, de plaisir, comme disant pourquoi on nait/on est au monde, pour être plus libres et plus nous-mêmes.

Pour l’anniversaire d’une institution (par exemple, les 30 ans de l’Arcal !), nos voisins allemands parlent d’un jubilé, une jubilation pour célébrer le passé, s’en repaître, en absorber toute la force, et laisser transparaître l’esprit de l’Arcal, que je souhaite faire vivre :
Innovation, Accompagnement, Rencontre, Liberté, Ouverture et Curiosité, Plaisir.

Car finalement, le but poursuivi par l’Arcal est que les personnes du public soient touchées intimement et vivement par la réception de l’œuvre; é-mues, c’est à dire « mises en mouvement » par cette rencontre, au niveau des sens, mais également du sens, que chacun se crée par tous les liens qu’il tissera entre l’expérience vécue au spectacle et son expérience passée au niveau sensoriel, intellectuel, sentimental, culturel, social, politique, métaphysique, avec toutes les répercussions visibles et invisibles que cette mise en mouvement puis cette mise en relation -donc cette intelligence- peut avoir dans le futur.

Recevoir et transmettre cette passion au plus grand nombre possible, pour que chacun puisse construire le sens qu’il donne à sa vie. Encore une transmission…

Merci Christian, pour tes Aventures, et pour ces nouvelles Aventures qui commencent.

Catherine Kollen