Théâtre et musique : on comprend dès l’ouverture qu’ils seront l’un et l’autre gagnants.

Adaptée à l’itinérance arcalienne, l’efficace modestie de la scénographie de Julia Hansen rappelle que l’intelligence théâtrale vaudra toujours mieux que l’abondance de moyens et d’effets. Remarquable plateau !

Alain Cochard – Concertclassic

Cette mise en scène, qui transpose le conflit entre Croisés et Sarrasins dans un contexte contemporain, fait de Rinaldo un homme politique moderne.
En introduisant le personnage – muet – de l’épouse de Rinaldo, et en faisant de Clotarco leur fils, elle tente d’être au plus près du déchirement intérieur du héros.

Armida, une œuvre visionnaire de Haydn, par Julien Chauvin

Composé en 1783, Armida, le premier opera seria de Joseph Haydn occupe une place singulière dans son œuvre de par ses dimensions, sa thématique et le succès généré par les premières représentations.

Commandé par le prince Eszterházy pour son théâtre de cour, Armida est le septième opéra en italien du compositeur et le dernier qui sera joué au château d’Eszterháza. Haydn aimait à dire que c’était l’opéra qu’il considérait comme le plus abouti : créé le 26 février 1784, il fut repris 54 fois à Eszterháza jusqu’à la fermeture du théâtre en 1790, et fut acclamé lors des productions à Vienne (1791), Preßburg (1786), Budapest (1797) et Turin (1804).

Depuis le XIXe siècle, l’opéra a été délaissé, comme ce fut le cas pour la majorité de ses œuvres et de celles de Mozart, et il ne sera « redécouvert » qu’en 1968 à Cologne, à l’occasion d’une version concert de l’opéra.

Haydn jouit en 1783 d’une renommée internationale, il a abordé tous les genres avec succès (quatuor à cordes, symphonie, musique religieuse, concerto, etc…) et il a nourri les courants musicaux les plus divers, du style galant au Sturm und Drang.

Armida est donc l’œuvre d’un compositeur en pleine maturité qui peut se permettre de « déstructurer » la pièce et de naviguer hors des conventions de l’époque.

Par la forme tout d’abord : l’ouverture est quasiment une « ouverture à programme » et elle reprend les moments les plus marquants de l’opéra, des affrontements violents entre Armida et Rinaldo aux airs de fanfares et autres scènes plus pastorales.

Dans la structure même des airs, Haydn utilise le livret d’une manière assez originale et fréquemment, il utilise le même texte pour illustrer deux idées musicales totalement opposées. Aussi, la forme des airs varie tout au long de l’opéra en fonction des personnages : plus développés et proches de la forme sonate pour les airs d’Armida, de Rinaldo ou d’Idreno, ceux de Zelmira, Clotarco et Ubaldo font preuve d’une grande variété tout en étant de facture plus simple.

Ensuite, Haydn emploie largement le récitatif accompagné par l’orchestre pour colorer de manière plus forte le « théâtre » parlé. Cette pratique était courant à l’époque (on en retrouve chez Mozart et Gluck par exemple), mais dans Armida, l’orchestre fait partie intégrante du drame. Et comme Haydn ne peut faire table rase des pratiques du passé, les récitatifs secco (accompagnés par le clavecin) côtoient les récitatifs accompagnés par l’orchestre.

Cette pratique permet à Haydn de faire fusionner des parties entières du drame en évitant la traditionnelle succession d’airs suivis d’inévitables applaudissements. En cela, Haydn est très visionnaire et l’œuvre gagne en unité et en force, de manière indubitable.

Enfin, concernant les parties vocales, l’Armida de Haydn est un des opéras les plus difficiles à exécuter car les deux rôles-titres sont d’une extrême exigence. L’ambitus des voix est très étendu et les nombreuses vocalises, issues plutôt de l’écriture instrumentale, sont redoutables mais servent cependant toujours l’enjeu théâtral.

C’est donc une partition qui pose tout autant de défis à l’interprète qu’un grand opéra de Mozart ou qu’une tragédie lyrique française. Nourris de ces autres chefs-d’œuvre et après avoir donné plus de vingt fois l’Infedeltà delusa du maître d’Eszterháza entre 2008 et 2010, nous avons un immense plaisir à interpréter cette Armida, pièce maîtresse du répertoire que le public (re)découvrira interprétée sur instruments anciens.

Distribution

Mise en scène : Mariame Clément
Direction musicale : Julien Chauvin
Le Concert de la Loge Olympique *
issu du Cercle de l’Harmonie
Chef de chant Frédéric Rivoal
Décor et costumes Julia Hansen
Collaboration à la mise en scène Benoît Bénichou
Lumière Marion Hewlett et Patrice Lechevallier
Maquillage Elisa Provin
Collaboration décor & costumes Gwladys Duthil
Répétitrice d’italien Barbara Nestola

* Suite à l’évolution du projet artistique du Cercle de l’Harmonie, ses musiciens fondateurs, fédérés autour du violoniste et directeur musical Julien Chauvin ont créé Le Concert de la Loge Olympique, qui reprend l’activité des concerts dirigés par Julien Chauvin sous cette nouvelle identité.

Avec les chanteu·r·se·s
Chantal Santon Armida
Juan Antonio Sanabria Rinaldo
Dorothée Lorthiois Zelmira
Laurent Deleuil Idreno
Enguerrand De Hys Ubaldo
Francisco Fernández-Rueda Clotarco
Catherine Hauseux L’épouse de Rinaldo (comédienne)

Le Concert de la Loge Olympique, direction Julien Chauvin
28 musiciens – David-Maria Gramse (violon 1) Marieke Bouche, Blandine Chemin, Gabriel Cornet, Laurence Martinaud, Sayaka Ohira, Mieko Tsubaki, Saori Furukawa, Rebecca Gormezano (violons) Raphaël Aubry, Marie Legendre, Maria Mosconi (altos) Emilia Gliozzi, Jérôme Huille, Pierre-Augustin Lay (violoncelles) Maria Vahervuo, Christine Sticher (contrebasse) Amélie Michel (flûte 1) Gilles Vanssons (hautbois 1) Lidewei De Sterck (hautbois 2) Jani Sunnarborg (basson 1) Josep Casadellà i Cunillera (basson 2) Nicolas Chedmail (cor 1) Christoph Thelen (cor 2) Emmanuel Mure (trompette 1) Nicolas Isabelle (trompette 2) Hervé Trovel (timbales) Frédéric Rivoal (clavecin)

Equipe technique Arcal
Nicolas Roger
(directeur technique),Patrick Naillet (régisseur général),Sébastien Bohm (régie lumière), Elisa Provin (habillage – maquillage), Laure Savoyen (régie d’orchestre – surtitrage)

Fabrication du décor
Les 2 Scènes Scène nationale de Besançon

Costume et casque d’Armida  mis gracieusement à disposition par le Centre de musique baroque de Versailles

Production

Production Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical
Coproduction Centre Lyrique Clermont-Auvergne, Les 2 Scènes – Scène nationale de Besançon, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale
Avec l’aide d’Arcadi Île-de-France / Dispositif d’accompagnements
Avec l’aide à la diffusion professionnelle musicale et chorégraphique du Conseil Général des Yvelines
Avec l’aide de l’Onda pour son aide à la diffusion d’Armida au Moulin du Roc, Scène nationale de Niort, dans le cadre d’une convention diffusion musique

Note de mise en scène

par Mariame Clément

Quel serait cet objet d’amour qui représenterait l’ennemi que le camp de Rinaldo a toujours combattu ?

L’Armida de Haydn s’inscrit clairement dans une tradition « héroïque » ancienne, avec ses passages obligés hérités de la tradition baroque. Pourtant, son langage musical – celui de la fin du 18e – révèle le même souci que celui qui anime les opéras de Mozart : créer, au- delà des archétypes de l’opéra,de vrais personnages, avec des émotions, des doutes, une psychologie plus « réaliste ».

Le grand déchirement de Rinaldo

Armida : effets magiques, machinerie, débauche de moyens ? Il n’en est rien. L’intrigue, inspirée de la Jérusalem délivrée du Tasse, est ici très minimaliste. Si l’oeuvre s’intitule Armida, le vrai héros en est peut-être Rinaldo, chevalier chrétien constamment tiraillé entre sa passion pour Armida, la magicienne alliée des Sarrasins, et son devoir de croisé. Torturé par la mauvaise conscience et la honte, Rinaldo est plusieurs fois ramené dans le « droit chemin » par les admonestations de son compagnon d’armes Ubaldo. Mais chaque fois, il replonge, « victime » de son amour irrépressible pour Armida. Si grand est ce déchirement qu’il en devient existentiel : Rinaldo semble se demander non seulement qui il aime, mais aussi qui il est.

Une incarnation de la musique de Haydn dans des personnages proches de nous

Fine, bouleversante, animée par un souci de vérité psychologique, la musique de Haydn suit au plus près ces souffrances : angoisses de Rinaldo, désespoir d’Armida abandonnée au nom de la morale et du devoir. Or, si le conflit entre l’amour et le devoir – qui plus est sur fond de croisades – est déjà un peu désuet à l’époque de Haydn (que l’on pense seulement aux livrets des opéras de Mozart, à mille lieues de ces problématiques !), il apparaît a fortiori pour nous comme un conflit de convention. C’est pourquoi il me semblait nécessaire, pour servir le langage musical de Haydn, de l’incarner dans des personnages proches de nous, qui souffrent intimement, dans leur chair, comme nous pouvons tous souffrir, comme nous pouvons tous, dans notre vie affective, vivre des tragédies dignes d’un opéra.

Il ne s’agit pas de « moderniser », par exemple en transposant l’action au Moyen-Orient de nos jours (GIs contre terroristes islamistes…), ce qui ne serait pas beaucoup plus proche de nous que le livret original. Il s’agit de se demander quel est ce conflit qui déchire Rinaldo. Comment donner à voir la pression sociale et morale qui conduit Rinaldo à refouler un amour pourtant irrépressible? Quel serait cet objet d’amour qui représenterait l’ennemi que le camp de Rinaldo a toujours combattu ?

Féminin – masculin

Si l’histoire de Renaud et Armide présente des personnages très sexués, qui correspondent à des archétypes bien connus (« la » femme séductrice, « le » héros, nécessairement viril), la subtilité des sentiments décrits par Haydn semble au contraire vouloir s’affranchir de l’idée d’archétypes pour construire des individus.

Cela m’a conduite à réfléchir à la question des genres : dans cet éternel jeu de rôles entre féminin et masculin, qui sommes-nous, comment nous définissons-nous par rapport aux pôles que constituent l’homme et la femme ? Quel est cet amour impossible qui pose un tel problème moral à Rinaldo ? Quel est ce droit chemin dont il s’écarte quand tout le pousse à y revenir, quelles sont ces croisades, qui sont ces deux camps qui s’affrontent ?

Questions auxquelles nous avons envie de confronter des personnages concrets, des hommes et des femmes d’aujourd’hui, dans des situations reconnaissables de la vie quotidienne, loin des champs de bataille, des palais d’Orient et des forêts enchantées des magiciennes – et dans la continuité de la tradition lyrique baroque (dont est directement issue cette Armida), qui a tant usé du travestissements comme ressort dramatique et si souvent joué de l’ambiguïté entre voix, genre des personnages et sexe des chanteurs pour troubler et émerveiller le spectateur.

© Enrico Bartolucci
Chantal Santon © Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci
© Enrico Bartolucci

Dates

Plus de représentation à venir pour cette saison.

Historique des représentations

Du ven. 16 jan. au ven. 16 oct. 2015
20:30

Opéra de Reims / Reims

Représentation

Féminin / masculin :
pour dépasser les clichés

par Catherine Kollen

Un cliché – au sens propre comme au sens figuré – est une photographie, c’est à dire la capture d’un instant en 2 dimensions et figé.
Il est plus instructif, plutôt que de s’en détourner, de le traverser pour en recueillir des informations, à condition de ne pas en rester prisonnier et de lui redonner ce qui lui manque pour représenter la vie : l’espace et le temps, en d’autres termes la profondeur et le mouvement.

Les représentations mentales

Si on prend le temps d’analyser minutieusement les représentations mentales que la société occidentale se fait du « féminin » et du « masculin » à travers la production du langage et des œuvres de l’esprit, on s’aperçoit qu’il est possible de substituer d’autres noms à ces qualificatifs qui résumeraient un ensemble de caractéristiques similaires : la « sensibilité » pour le féminin, la « vigueur » pour le masculin. Et de les caractériser chacun par un mouvement fondamental que nous appellerons « l’empreinte de la vie en soi » pour le féminin et « l’empreinte de soi dans la vie » pour le masculin.

Le détour par le cliché permet de remarquer une relation de polarité -incluant attraction et répulsion- entre ces deux modes de comportements humains.

Mais redonner ces noms plus neutres et plus précis permet de reconnaitre que chacun d’entre nous selon les circonstances passe par l’un ou l’autre de ces modes de comportements – avec sans doute un ordre de préférence pour un mode, qui varie selon chaque item, et qui ne signifie pas que l’autre mode n’est jamais utilisé : reconnaissons la profondeur et le développement dans le temps d’une personnalité – pôle vient d’ailleurs du grec polos qui veut dire pivot.

Penser la complexité

Définir un être humain du seul fait de son sexe biologique est réducteur de la richesse et de la complexité humaines. Il serait plus proche de la réalité d’avouer humblement que notre cerveau a besoin de s’entraîner pour être capable de penser la complexité : tenir ensemble dans notre champ de conscience une multitude de pôles opposés et les interactions possibles entre eux. A la vue des récentes découvertes de l’architecture connective en réseau du cerveau et de sa plasticité, il est possible d’envisager une autre alternative possible entre déterminisme et constructivisme des sexes et des genres, comme l’épigénétique a rendu caduque la bataille de l’inné et de l’acquis en déplaçant la perspective sur les interactions entre environnement et génétique.

Articulation entre l’intime et la société,

Ainsi notre liberté s’articule avec une part de déterminisme : elle réside dans notre « marge de manœuvre », c’est à dire dans un intervalle d’espace et de temps entre des contraintes (le concept de « ma » japonais), et dans la combinatoire (le « jeu ») que chacun à la fois reçoit et fait, qui signe sa singularité sans renier son appartenance à des éléments plus universels.
L’étude de ce « jeu » sous contrainte ouvre des questions passionnantes y compris l’articulation entre l’intime et la société, essentielles dans la démocratie qu’il est urgent de repenser.