Familles à recomposer

Quand l’univers familial est chamboulé, re-composé, comment l’enfant l’intègre-t-il dans son histoire, comment y retrouve-t-il ce qui fait sens pour lui ? Une invitation à jouer dans un théâtre « de chambre », chanté, épuré, poétique et symbolique, où des ronds lumineux mènent la danse…

Catherine Kollen

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Une petite fille nous raconte son histoire, au travers du départ et de l’arrivée de… ses trois papas ! Peut- on avoir trois papas ? Non, quoique…
Car ce qu’elle préfère, c’est que chacun la prenne dans ses bras.

L’émotion et l’épure, par Jérôme Ruillier

Dans la plupart de mes albums, j’écris sur l’autre, sa différence, et la peur de l’autre, que ce soit dans Quatre petits coins de rien du tout ou Le cœur-enclume, mais aussi dans Homme de couleur ou Les Mohammed

En travaillant avec ma fille trisomique sur l’apprentissage de la lecture, où j’utilisais des méthodes (Borel-Maisonny) qui allient le geste au son et au signe écrit, je me suis rendu compte que les connaissances rentrent beaucoup plus vite en mettant le corps en jeu. De même dans mes interventions auprès des écoles maternelles autour de mes albums, je constate que les enfants ont en général compris intellectuellement l’histoire, mais pour aller plus loin, je cherche à la leur faire vivre émotionnellement en mettant en scène la situation pour leur faire ressentir l’émotion présente dans l’album. La création de ce lien entre la pensée et le corps via l’émotion fait partie de l’apprentissage. Là, c’est inscrit dans leur vécu, ils le mémorisent. Là, ça m’intéresse.

Dans mon travail, textes et dessins sont complètement liés ; comme je le fais comprendre aux élèves des écoles lors de rencontres en classe, l’émotion est présente dans les mots du texte, mais l’aspect physique de l’émotion, qui se traduit dans l’attitude du corps et dans l’espace, dicte également la forme graphique.

L’épure me conduit d’ailleurs à passer d’un dessin figuratif à une forme abstraite, symbolique, qui ouvre et libère l’émotion. La phrase du peintre et photographe Mario Giacomelli « Je crois à l’abstraction dans la mesure où elle me permet de m’approcher un peu plus du réel » résonne fortement dans mon travail. Car le dessin figuratif, s’il peut être un point de départ, est trop anecdotique, trop figé sur l’instant représenté, alors que le symbole, qui semble pourtant graphiquement plus éloigné du réel, permet de se rapprocher de l’émotion, d’atteindre son essence ; car la matière c’est l’émotion. Dans mes dessins figuratifs on voit simplement un homme qui se met en colère alors qu’avec le symbole, je représente directement le sentiment de colère, l’archétype de la colère. 

Je cherche à dessiner l’impression que l’objet me laisse, plutôt que l’objet lui-même.

Je le vois fortement avec les enfants en classe, qui se retrouvent plus dans l’abstraction, qui fait fuser leurs paroles où ils peuvent du coup me parler de leur réel à eux.

« J’aime le terme de « reliance », mot inventé par le sociologue belge Marcel Bolle de Bal, pour désigner cette nécessité de nous relier, de nous retrouver. Ainsi nous pourrions éprouver réellement notre destin commun. L’amélioration de la qualité de nos vies passera par l’amélioration des liens qui nous unissent. » (Edgar Morin).

L’argument

C’est une petite fille qui raconte son histoire à travers le départ et l’arrivée de… ses trois papas !
Finalement qui est qui ?
Le premier se trouve être le second,
le second est le troisième,
et le troisième se trouve être finalement le premier !
Peut-on avoir trois papas ?

– Non, dit la petite sœur (la petite sœur du deuxième papa, donc du troisième), on a qu’un papa !

Cela n’empêche pas la petite fille qui grandit d’aimer par dessus tout… que chacun de ses trois papas la prenne dans ses bras !
Et la famille, avec les trois papas, de s’agrandir…
Mais la réalité n’est pas si simple, me direz-vous ?
C’est plus douloureux, plus complexe.
Je le sais,
cette histoire m’est arrivée, et je vous laisse deviner lequel de ces trois papas j’ai été !

Un puzzle musical qui se compose et se recompose, par Jonathan Pontier

L’expression minimaliste de Jérôme Ruillier, parsemée d’espaces comme un haïku, s’ancre dans un quotidien sensible qui nous parle d’humanité ou de familles, de relations entre les êtres, de sujets affectifs et intimes.

Cela pose, pour une adaptation dans une forme de théâtre musical, la question de l’incarnation des personnages, car il utilise le dessin de manière abstraite pour les représenter (figures géométriques, couleurs essentiellement). 

La perception simple et spontanée d’un récit avec de tels personnages (que la page d’un livre nous conte en deux dimensions) se complexifie tout en s’enrichissant de la notion de volume, troisième dimension évidemment nécessaire pour que le spectacle devienne réalité.

Il s’est agi de faire en sorte que musique et mise en scène se chargent de donner vie à ces personnages, par la voix et les mains d’une chanteuse-conteuse, tout en conservant le côté abstrait qui leur donne une puissance onirique inédite.

Elle est d’abord l’interprète de plusieurs airs constituant à chaque fois le fil rouge du spectacle, son nœud même : le moment chéri où la famille de la petite fille est serrée dans les bras par ses papas successifs. Dans ce théâtre, l’incarnation se fait aussi par la mélopée chantée en direct et sur bande, la conteuse donne ainsi chair à ses personnages en les chantant, ces figures qui se composent-décomposent-recomposent, au gré de l’histoire, de ses fusions et de ses séparations.

Pour ce faire, j’ai d’abord composé une sorte de « boîte à objets sonores » — comme le scénographe l’a fait des objets lumineux à manipuler — . Cette boîte à outils musicaux contient des cellules mélodico-rythmiques qui permettent la répétition, le croisement, l’emboîtement (etc) de ces cellules.

Musicalement, cela se traduit donc par une composition-puzzle, qui jouera au sens propre sur les notions d’emboîtement, d’entrée- sortie de ces personnages-motifs, créant une architecture ludique et sophistiquée.

Dans cette forme de puzzle musical où la chanteuse joue avec les diverses mises en boucle de sa propre voix, celle-ci « fabrique » les cellules qui constitueront les personnages et leurs péripéties, leurs fusions et leurs séparations, en relation constante avec la bande déclenchée en direct par le régisseur (lequel dispose d’une forme de partition graphique pour répondre en rythme et dans la pulsation…). Elle est principalement constituée de voix (celle de la chanteuse bien sûr, mais aussi celles d’une enfant de 2 ans et demi, une de 5 et une de 7 ans, ce qui permet d’élaborer une lente progression de la texture entendue, créant aussi une proximité dans la relation avec le public enfant dès le début du spectacle). Ces voix sont parfois reconnaissables (les personnages), parfois détournées (effets sonores insolites et drolatiques), ou matériau purement instrumental (resampling, resynthèse). 

Enfin, cette polyphonie rendue possible par les interactions voix-bande s’ajoute à la multiplicité visuelle des objets, dans une symbiose à la fois simple et poétique.

Les gammes utilisées sont délibérément simples (pentatoniques proches des gammes africaines, asiatiques…), afin de permettre une identification immédiate 

Une dramaturgie collective, par Sylvain Maurice

Pour Dansékinou, nous avons décidé de travailler tous ensemble à tisser des liens organiques entre les disciplines pour adapter à la scène « en 3D » le texte et les dessins de Jérôme Ruillier, avec une grande part donnée à la musique dans la structuration. Sous forme de laboratoires, à raison de 4 jours par mois, sur un an, cette forme d’écriture plateau a permis de tisser des liens entre texte, dessins, musique, théâtre, objets, vidéo.

Les dessins de Jérôme font partie intégrante de son « texte » et nous ont conduit vers l’univers du théâtre d’objet où nous cherchons à garder cette abstraction du « rond » qui nous rapproche de l’universel des personnages, tout en leur donnant une matérialité et une vie scénique à travers le matiérage de leur enveloppe, leur lumière, leur poids, leur type de mouvement donné par un travail sur leur centre de gravité, ainsi que leur rapport avec l’interprète et la résonance donnée par la vidéo.

Le statut de la chanteuse change d’échelle au fil des actes, au fur et à mesure que la petite fille grandit, passant de celui de manipulatrice s’effaçant derrière les objets à celui de marionnettiste en relation avec ses objets, pour aboutir à celui de comédienne contant son histoire – la voix parlée, musicalisée, vocalisée, chantée, étant un fil conducteur qui traverse tout le spectacle.

Le dispositif scénique a été conçu pour être extrêmement léger et être joué dans des classes, gymnases, maisons de quartiers, salles des fêtes, foyers ou plateaux de théâtres, permettant ainsi une grande proximité de l’interprète avec les spectateurs, essentielle vu leur âge pour créer une complicité.

Les dessins de Jérôme font partie intégrante de son « texte » et nous ont conduit vers l’univers du théâtre d’objet où nous cherchons à garder cette abstraction du « rond » qui nous rapproche de l’universel des personnages

Distribution

Mise en scène Sylvain Maurice, Aurélie Hubeau
Scénographie Antonin Bouvret

Avec la chanteuse • conteuse
Maryseult Wieczorek

Fiche technique

Forme spectacle immersif • les enfants sont assis autour de la robe décor
Durée 35 mn + échanges • mini-opéra chanté en français
Public en famille dès 3 ans • Scolaires 3 – 6 ans

Lieu une salle à plat dans le noir
Espace de jeu 5m de profondeur x 5m de largeur
Installation 2h ; démontage 1h30
2 personnes en tournée2 représentations/jour possibles

Production

Production Arcal
Coproduction Théâtre Sartrouville Yvelines CDN, La Barbacane – scène conventionnée de Beynes (78)
Soutien Association Beaumarchais-SACD (écriture et production), Fonds de création lyrique (FCL), ONDA, La Muse en circuit

© Jean Feugère

Dates

Plus de représentation à venir pour cette saison.

Historique des représentations

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