Argument

A Séville, en Espagne. Séducteur blasphémateur, Don Giovanni avance masqué pour séduire Donna Anna, par ailleurs fiancée à Don Ottavio. Anna le repousse et reçoit la protection du Commandeur, son père. Au cours d’un duel nocturne, Don Giovanni blesse à mort le vieil homme, avant de s’en aller, sans le moindre remords, vers d’autres proies, toujours flanqué de son valet Leporello, complice récalcitrant de ses audaces. Donna Elvira et Zerlina seront les autres victimes criantes du libertin. Après avoir perpétuellement glissé entre les mailles des filets – et s’en être délecté avec concupiscence – Don Giovanni ira brûler dans les flammes de l’enfer, entrainé par le spectre du Commandeur venu venger sa fille et rétablir l’ordre des choses. 

Présentation

Don Giovanni, dans une quête effrénée des femmes, défie l’ordre et la morale, jusque devant le commandeur qu’il a assassiné.

Flamme incendiant les corps et les cœurs, Don Giovanni consume et consomme, dans une course avide qui tourne à vide mais le rend vivant. Dans ces conquêtes sans fin, n’est-ce pas, plus que la jouissance, la recherche effrénée de défis qui le survolte ? N’est-il pas le miroir de notre addiction au désir, à l’excitation et la consommation qui nous conduit vers l’abîme ?

Les personnages qu’il croise mêlent le tragique au grotesque, l’amour pur à l’ambivalence, le profane au sacré, transcendés par la musique de Mozart dont l’intelligence aiguë perce l’âme humaine.

Distribution

Direction musicale Julien Chauvin
Ensemble Le Concert de la Loge
Mise en scène Jean-Yves Ruf
Scénographie Laure Pichat
Lumières Victor Egéa
Costumes Claudia Jenatsch
Collaboration artistique Julien Girardet
Maquillages Elisa Provin
Diction italienne Barbara Nestola
Chefs de chant Mathieu Dupouy, Guillaume Haldenwang

Avec les chanteur·euse·s solistes
Timothée Varon Don Giovanni
Margaux Poguet Donna Elvira
Marianne Croux Donna Anna
Abel Zamora Don Ottavio
Nathanaël Tavernier Le Commandeur
Adrien Fournaison Leporello
Mathieu Gourlet Masetto
Michèle Bréant Zerlina

Le chœur
Inès Lorans soprano
Alexia Macbeth mezzo-soprano
Corentin Backès ténor
Samuel Guibal baryton-basse

Production

Production Arcal
Coproduction Athénée Théâtre Louis-Jouvet (Paris) :  La saison d’Opéra-Théâtre 2024-2025 de l’Athénée bénéficie du généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet • Opéra de Massy
Soutien Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France Région Île-de-France Ville de Paris la SPEDIDAM
Résidence Centre des Bords de Marne

Un procès contemporain • par Jean-Yves Ruf

Un nouveau regard

J’ai monté Don Giovanni il y a une dizaine d’années. En m’y replongeant, je mesure à quel point notre regard collectif a changé. On ne peut plus excuser la conduite de Don Giovanni, que ce soit avec Donna Anna, Zerlina, ou Elvira. Il serait aujourd’hui poursuivi pour harcèlement, agression sexuels. Et tant mieux, car cela met à jour une mutation des mentalités, une vigilance collective concernant la violence faite aux femmes. 

A partir de là, faut-il refuser de monter cet opéra ? Alors renonçons à Richard III, à Woyzeck, Platonov, voire à Hamlet, qui tue aussi le père de son aimée, et provoque en partie le suicide d’Ophélie. Refusons tous les monstres sur les plateaux. 

Une des fonctions du théâtre n’est-elle pas de mettre à jour toutes nos complexités, nos parts d’ombre autant que nos désirs d’élévation ? Les personnages de Shakespeare, le duc de Mesure pour Mesure par exemple, nous montrent à quel point la folie et la sagesse se côtoient en nous, échappent à une morale simpliste, demeurent insaisissables. Et c’est ce qui nous intrigue, nous renvoie à nous-mêmes, à nos propres dévoiements. 

Si l’on retourne dans tous les sens le livret et la musique de Don Giovanni, on peut tracer des lignes très diverses, contradictoires, et la multitude de versions nous prouvent à quel point cette œuvre génère d’entrées possibles. 

Il serait passionnant de faire un procès contemporain de Don Giovanni, mettre à jour ses crimes, ses torts, mais aussi son utopie, ses motivations, ses circonstances atténuantes. De ne pas lui faire qu’un procès à charge. Se plonger dans le livret et la partition nous met dans des gouffres de questionnements, d’oscillations. Ce pourquoi il reste une figure contemporaine, ce pourquoi il nous interroge encore, nous offre un miroir complexe.

Le projet est de n’en faire ni un héros ni une crapule sans nom. Mais de tenter avec le plus de discernement possible, de l’épingler tel qu’il s’offre à nous, avec toutes ses contradictions, ses utopies, ses petitesses. Et ce sera à chacune et chacun, dans son for intérieur, d’en discerner les contours.

Des personnages complexes

Il tente de faire de nouvelles conquêtes, mais ne réussit jamais. C’est à se demander parfois si le catalogue de Leporello n’est pas une invention, ou une exagération. Quelle est la part de réel, la part de fantasme, de mythomanie ? Da Ponte nous laisse décider. 

Mais Don Giovanni n’est pas le seul personnage indécidable. Zerlina par exemple n’est sans doute pas une proie aussi facile que certaines versions nous le font accroire. Elle a elle aussi sa part de jeu, de fantasme. Elle fait une expérience qui pourrait mal tourner, mais rien ne dit qu’elle n’est qu’une oie blanche, trop bête pour se rendre compte. Elle joue et manipule aussi. Elle rassure Masetto en disant qu’elle ne risque rien avec un gentilhomme, mais seule avec le gentilhomme en question, elle met en doute la sincérité de toute la gentilhommerie. Da Ponte et Mozart ont pris soin de donner de la complexité à tous les personnages. Les cris que Zerlina pousse lors du final du premier acte peuvent être ceux d’une victime pourchassée et terrorisée. Mais elle peut tout aussi bien avoir accepté de jouer l’appât, en complicité avec Elvira. Rien que ce détail ne dessine pas le même personnage. Sans parler du mystérieux Don Ottavio. Tous les personnages s’offrent à nous avec leurs angles morts, leurs paradoxes. 

Joueur sombre

Je ne tente pas ici d’excuser Don Giovanni, au contraire, je le rends moins puissant, plus pathétique. Il est manipulateur tout autant que manipulé. Ces personnages sont plongés dans une expérience chimique, un précipité instable, un maelstrom indécidable, où chacun joue sa partie. Pour tous c’est un parcours initiatique, qui les transformera. Et personne n’en ressortira indemne. C’est tout l’art de Mozart et Da Ponte. 

Oui, Don Giovanni semble s’en sortir à chaque fois. On le quitte piégé à la fin du premier acte, on le retrouve libre au début du deuxième. Il faut bien que le théâtre continue. Et que son jugement soit non pas celui des hommes (d’où un Don Ottavio si impuissant et rageur, incapable d’influer sur le cours des choses), mais celui d’une figure de l’au-delà, le fantôme du Commandeur. Son jugement est divin, implacable. La seule grandeur de Don Giovanni pourrait être de ne pas renoncer à son amour de la liberté, et de mourir en refusant de céder. Mais est-ce une grandeur de ne pas  reconnaitre ses erreurs ? Ce sera encore une fois une question non résolue, laissée à la liberté du spectateur. 

L’orchestre au plateau 

Nous avons choisi de laisser l’orchestre au plateau, de ne pas le cacher en fosse.
Ce n’est pas la première fois que je fais cette tentative, et elle ne se prête pas à toutes les œuvres. Mais ici j’ai senti que ça pourrait créer comme une sorte de zone mentale pour les personnages. Et de surcroit, un orchestre qui joue, j’ai toujours trouvé ça beau.

La scénographie se déplie sur deux plans, le plan du plateau où se dispose l’orchestre – laissant parmi eux des passages et une zone de jeu à la face – et un plan en hauteur, signifié par une passerelle, qui relie jardin et cour. Ces deux plans sont rendus poreux et communiquent via un escalier à vue, qui crée de possibles hauteurs intermédiaires. 

J’aime l’imaginaire que crée un pont, une passerelle, qui est le moyen d’enjamber un obstacle, un fleuve, une rivière, mais qui peut aussi devenir un piège. Une fois engagé, on sait qu’on peut être immobilisé,traqué. Par d’autres qui nous bloqueraient à chaque extrémité, ou par soi-même, son vertige, son envie de se jeter, ou de rester au milieu du gué. C’est un lieu concret et psychique en même temps.

La zone du bas, souvent plus sombre, est un autre piège possible. On s’y réfugie parmi les musiciens, mais c’est aussi comme si l’on descendait en soi-même. La musique est une source et un flux de pensée, surtout chez Mozart. Un refuge autant qu’une possibilité de se confronter à ses remous. On est entouré de fantômes bruissant.

Deux pôles

On peut sentir comme deux pôles, celui des rencontres diurnes, des intrigues bien dessinées, qui font avancer le récit. Les personnages se croisent, se tombent
dessus : difficile de s’éviter quand on est engagé sur un pont. Don Giovanni est pris au piège, il est épinglé, confondu – fin de premier acte.

Et celui des moments plus intimes, plus secrets, où l’on veut se mêler aux autres, devenir anonyme. Ou se confier à des inconnus soudain si proches. Celui de certains arias ou le personnage se révèle à lui-même. 

De manière parallèle, une autre distribution de l’espace advient, surtout durant le premier acte : les nobles utilisent la passerelle, presque systématiquement, sauf quand il y a nécessité de descendre, pour rejoindre la fête par exemple, et s’approcher de Don Giovanni.

La fête de la fin du premier acte est un point de bascule, où tous les espaces et les rangs sociaux se mêleront. Et cette confusion innervera la suite de l’opéra.

J’ai pu relire et réécouter l’œuvre en creusant de nouveau sillons, en m’échappant de la première mise en scène. Parce que mon regard a changé, parce que l’envie partagée de Julien Chauvin et moi de mettre les musiciens au plateau m’a poussé à me poser de nouvelles questions, à raisonner différemment. D’autres facteurs ont joué, comme la distribution de jeunes talents, l’orchestre prêt à expérimenter, le dialogue avec le maestro. 

Je pressens une production collective, dense, physique, ludique, avec un accent porté sur le jeu, la précision des parcours.
Ce sont les détails, la somme des détails, qui font la force et la profondeur d’une fresque.

Jean-Yves Ruf
Août  2024

Diriger Don Giovanni du violon ? • par Laurent Muraro

N’oublions pas que la figure du chef d’orchestre telle que nous la connaissons aujourd’hui ne se met en place que progressivement durant les premières décennies du XIXe siècle, sous l’impulsion notamment de fortes personnalités telles que Mendelssohn ou Berlioz.
Avant cela, on observait plutôt une très grande diversité des pratiques dans la façon dont la musique était “dirigée”, pratiques variables en fonction du répertoire (vocal ou instrumental, profane ou sacré), du lieu (d’un pays à l’autre, voire d’une ville à l’autre !) et surtout du cadre et des contraintes de l’exécution (salle de spectacle, église, salon aristocrate, plein air…).

La musique pouvait ainsi être dirigée du premier violon, du continuo, et notamment du clavecin ou de l’orgue, ce dont témoigne la dénomination (Konzertmeister, maestro di cembalo…), ou alors par un ou plusieurs « batteurs de mesure », l’ancêtre de nos chefs d’orchestre, qui à l’aide d’un bâton, d’une canne voire d’une partition roulée sur elle-même, étaient chargés de veiller à la coordination de l’ensemble ou d’une partie des forces en présence (c’était par exemple le cas pour des œuvres à plusieurs chœurs jouées de façon spatialisée dans des églises où plusieurs batteurs de mesures étaient simultanément requis).

Et l’opéra dans tout ça ? Dans la mesure où le développement de la fonction de chef d’orchestre au XIXe siècle s’est justifié par la plus grande complexité des partitions et l’élargissement des effectifs, on pourrait logiquement penser que le domaine lyrique a été pionnier dans la matière en raison du nombre important d’artistes impliqués dans une production d’opéra (chanteurs, choristes et danseurs sur scène, musiciens d’orchestre en fosse ou en coulisse sans oublier tous les déplacements ou effets théâtraux…).
Il n’en est rien, et les sources sur l’opéra à Vienne au tournant du XIXe, donc peu de temps après la création des ouvrages lyriques de Mozart, nous montrent plutôt une responsabilité partagée dans la direction musicale.

Les plans de fosse nous révèlent en effet une implantation des musiciens bien différente de ce que nous connaissons aujourd’hui, avec un « Operndirektor » (« directeur de l’opéra ») le plus proche possible de la scène, et donc de dos aux musiciens, chargé de veiller plus particulièrement sur les chanteurs, avec à ses côtés une partie des contrebasses, violoncelles parfois une harpe qui transmettent eux l’information aux autres instruments graves, avec des pupitres parfois disséminés aux extrémités cour et jardin, et aussi un « Orchesterdirektor » (le « directeur de l’orchestre »), en l’occurrence notre premier violon, plus proche du public et donc assez éloigné de l’Operndirektor, en charge plus spécifiquement des cordes, sans oublier les vents qui pouvaient également être séparés entre les extrémités cour et jardin de la fosse. 

Comment tout cela pouvait-il donc fonctionner ? Tout simplement par une plus grande autonomie, et donc une plus grande responsabilité laissée à chacun. Dans cette perspective historique et d’interprétation, il n’y a donc rien d’illogique à diriger un opéra de Mozart du violon, surtout si comme pour cette production de Don Giovanni, les musiciens ne sont pas dans une fosse mais directement sur scène.
Les conditions d’une plus grande écoute entre tous les artistes impliqués sont en effet de facto réunies, notamment pour les interactions avec les chanteurs à même de pouvoir “diriger” s’il le faut certains passages (il n’est pas rare de voir à l’opéra des chanteurs avoir une connaissance de la partition, du moins pour leur rôle, parfois supérieure au chef d’orchestre…).

C’est donc dans cet esprit d’écoute propre à favoriser un souffle commun entre tous les artistes que Julien Chauvin a souhaité inscrire sa démarche pour cette nouvelle production fidèle en quelque sorte au mot d’ordre de Don Giovanni : Viva la liberta!

Julien Chauvin
Octobre 2024

Fiche technique

2h50 + entracte
Chanté en italien, surtitré en français
Opéra avec fosse, 53 pers. en tournée

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